Achetez-vous vos CD-R et DVD-/+R en France ? Si oui, vous faites partie d’une race qui a tendance à disparaître (celle des gens qui achètent leurs CD-R et DVD-/+R en France). Je vais donc vous faire faire tout de suite quelques économies, et je l’espère un peu honte de votre ignorance (j’adore faire honte) :
Memorex CD-R 80 min (prix fnac.com), les 25 disques : 19,90 € (soit 0,80 € l’unité)
Imation CD-R 80min (prix nierle.de), les 100 disques : 18,99 € (soit 0,19 € l’unité)
et pour les DVD-R :
Memorex DVD-R 4,7 Go 8x (fnac.com) les 5 disques : 14,90 € (soit 2,98 € l’unité)
Ridata 4,7 GB « G05 » 8x (nierle.de) les 50 disques : 18,99 € (soit 0,38 € l’unité)
L’énorme différence de prix entre les deux pays (la France et l’Allemagne) existe aussi entre la France et l’Angleterre ou le Luxembourg et est bien entendu dûe à la fameuse « redevance pour la copie privée » qui est une taxe basée sur la capacité et le type du média. Cette taxe est donc 7 fois plus élevée pour les DVD qu’elle l’est pour les CD, et surtout bien plus élevée que pas de taxe du tout.
Pourquoi une telle « redevance » ? Et bien officiellement elle a été créée pour combler le manque à gagner des éditeurs phonographiques et elle est reversée à la Sorecop et CopieFrance qui sont censées les redistribuer de façon « équitable ». En réalité, j’imagine qu’ils sont redistribués selon le pourcentage de part de marché de chaque éditeur sur le marché, ce qui signifie que Sony ou Virgin auront moultes milliards d’euros alors que le petit éditeur de musique qui a besoin d’argent n’aura que de quoi se payer une bière au bistrot du coin.
Le véritable scandale de cette redevance, ce n’est pas nouveau, c’est qu’elle s’applique aux supports quelque soit leur utilisation. Un particulier qui achètera des CD pour sauvegarder ses photos de famille paiera cette taxe. Pire, les entreprises qui utilisent ces disques par paquet de plusieurs dizaines, centaines ou milliers par mois pour leur activité paieront aussi cette taxe. Quant au particulier qui utilise des CD pour sauvegarder ses CD audios, il en est de plus en plus empêché par les sytème anti-copie présents sur la plupart des disques audio du marché. Enfin, la personne qui utilise ces disques pour sauvegarder de la musique qu’il aura téléchargée illégalement paiera non seulement la redevance pour copie privée, mais sera également passible des peines prévues par la loi pour piratage.
Or dans ce dernier cas, ce simple fait que le pirate ait à subir une double peine n’est non seulement pas normal, mais en plus cela s’oppose à la raison d’être de la SACEM, la société de gestion des droits d’auteurs en France. Son activité principale est de gérer des droits par un système de forfait. Par exemple, lorsqu’une chaîne de télé utilise la musique d’un artiste X, elle fait ce qu’on appelle une déclaration SACEM qui indique le nom de l’artiste, le titre du morceau et la durée utilisée du morceau, ainsi que le producteur. La chaîne paye en général un forfait mensuel à la SACEM basé sur sa part de marché (une petite chaîne du câble ne paye rien en comparaison de TF1) et à l’autre bout du système, la SACEM reverse de l’argent aux auteurs/compositeurs/interprètes/producteurs s’ils se sont déclarés (sinon on retourne dans le cas de la distribution « équitable »). Ce système s’applique dès qu’il y a utilisation publique d’un morceau de musique, « libre de droit » ou non – « libre de droit » signifie que l’auteur ne demande pas de compensation pour l’utilisation de son œuvre mais la déclaration reste obligatoire.
À ce propos, deux notes en peu hors-sujet : l’autorisation des artistes n’est pas requise pour l’utilisation de leur œuvre, par contre un auteur peut s’opposer à l’utilisation de son œuvre voire même intenter une action en justice, par exemple si la musique a été associée à une image jugée dégradante ou que sais-je encore… C’est pour ça que les réalisateurs évitent d’utiliser du Madonna pour des reportages sur la zoophilie ou même simplement du Daft Punk (les Daft Punk sont super tâtillon sur l’utilisation de leur musique et ont même été en procès contre la SACEM). La seconde chose, c’est que j’ai appris par hasard que l’équivalent de la SACEM au Japon entretient des contacts très étroits avec sa consœur française, et que par conséquent quiconque utilise une musique japonaise sans le déclarer à la SACEM prive l’artiste japonais d’une rémunération réelle. À titre d’exemple, la période pendant laquelle Seiji Yokoyama a gagné le plus d’argent pour ses compositions a certainement été celle pendant laquelle Les Chevaliers du Zodiaque a été multidiffusée sur TF1… il en est le compositeur de la bande originale. Puisqu’on parle de TF1, pensez au compositeur des jingles publicitaires de cette chaîne qui gagne quelques milliers d’euros à chaque fois qu’une page de pub commence ou se termine !
À une petite réception :
« – Bonjour, je suis le patron de British Petroleum, et vous ?
– Moi, j’ai fait les jingles pub de TF1 !
– Oooooh…. »
Revenons à la redevance pour copie privée. Cette redevance a donc été créée pour compenser le manque à gagner du piratage, pourtant officiellement elle s’appuie sur le fait que la loi autorise la copie à titre personnel (fameux droit à la copie privée). Donc, toujours officiellement, on paye pour un droit prévu par la loi. Déjà le titre est faux, elle devrait plutôt s’appeller « taxe sur le piratage » mais bien évidemment il n’en est rien, sinon cela priverait les ayant-droits de la possibilité d’attaquer en justice les pirates. Ensuite, il s’agit d’une manne financière qui s’élève à 164 millions d’euros en 2004 (audiovisuel + œuvres sonores). Notons qu’au passage les éditeurs de logiciels (Microsoft, éditeurs de jeux vidéo…) ne touchent rien car il est bien connu que le piratage ne les concerne absolument pas.
La première conséquence de cette taxe, qui touche aussi les baladeurs à disque dur (dont l’iPod) et les mémoires flash (clés USB à partir de 2006) est que les consommateurs se sont naturellement tournés vers l’étranger pour leurs achats de consommables. L’une des premières raisons d’exister de l’UE étant le libre échange des biens dans la Communauté, les site de vente par correspondance dans les pays où aucune taxe (ou une taxe bien inférieure) est appliquée ont connu une exceptionnelle croissance ces dernières années, leur nouvelle clientèle étant bizarrement exclusivement française. Il y a par exemple BigPockets et Nierle – vous remarquerez que les deux proposent leur site en français, et BigPockets répond même aux e-mails et au téléphone en français ! Une anecdote : pour économiser les frais de port, il faut toujours commander en grande quantité. Au boulot on commande aussi chez Nierle par paquets de plusieurs centaines de disques. Un jour, j’ai reçu deux cartons de commande mais le transporteur s’était trompé : il m’avait livré le carton d’un autre client. Enfer et damnation, allais-je devoir chercher le carton manquant à l’autre bout de la France ? Et bien pas du tout, l’entreprise qui elle aussi avait commandé plusieurs cartons de DVD-R était à 100 mètres dans la rue d’à-côté. Je n’ose même pas imaginer le nombre d’entreprises qui commandent chez Nierle sur Paris… Il faut dire qu’il y a de quoi : plus de 80% d’économies, tout de même…
Malheureusement, les commerçants français ne l’ont pas entendu de cette oreille, et notamment RueDuCommerce. Ce site marchand, dans l’impossibilité de concurrencer les sites étrangers, à décidé de porter plainte contre six sociétés qui avait fait de la publicité en France. Le 15 septembre, le tribunal de commerce de Bobigny a rendu un jugement en sa faveur : dorénavant, les sites étrangers devront indiquer dans leurs publicités que les consommateurs français doivent contacter eux-même la Sorecop ou CopieFrance pour leur reverser la redevance sur la copie privée sur les supports achetés à l’étranger dans l’espace intra-communautaire. L’amende prévue pour non-déclaration peut aller jusqu’à 300 000 €. Si vous avez fait une commande groupée, vous pouvez être considérés comme étant une bande organisée et dans ce cas cela peut aller jusqu’à… 500 000 € d’amende et 5 ans de prison !
On est donc dans la situation ou n’importe quel particulier ou entreprise se doit, lors de l’import de produits assujettis à cette redevance, de faire une déclaration à la Sorecop ou à CopieFrance pour ne pas avoir le droit de les utiliser pour pirater, OU de ne pas avoir le droit de copier des CD ou DVD protégés par DRM, OU enregistrer ses photos de famille. De plus une entreprise qui par exemple utilise ce support pour une utilisation publique avec de la musique copyrightée devra également faire une déclaration SACEM… Cela appelle quatre commentaires de ma part.
- Je doute fort que les gens se mettent à payer la taxe de leur propre chef. La libre circulation des marchandises étant un fait, la douane s’occupe pas d’intercepter les milliers de paquets de CD qui transitent par nos frontières – une loi en ce sens a été votée pour les cigarettes, et les douaniers ont déjà prévenus qu’elle était quasi-inapplicable. De plus, je suis tout de même étonné que la France se permette unilatéralement de condamner des sociétés étrangères, même européennes, à une obligation d’affichage en dehors de France.
- J’ai découvert à l’occasion de ce jugement la notion d' »import intra-communautaire » qui définit le fait d’importer en France un « bien meuble » à partir d’un pays faisant partie de la Communauté Européenne. La France se permet donc de taxer l’import de produits dans l’enceinte même de la Communauté. N’est-ce pas l’opposé exact de la libre circulation des biens ? J’ai hâte de voir les premières sociétés condamnées se pourvoir devant la Cour Européenne.
- Notre pirate. Admettons que celui-ci ait pris la décision de payer la redevance. Il va donc télécharger un formulaire, se faire chier à le remplir, puis renvoyer le tout avec un chèque. Et pourtant, ses efforts ne serviront à rien, puisque non seulement il aura perdu de la thune, mais en plus comble de malchance il va se faire chopper un peu plus tard et condamner pour téléchargement illégal. Quel intérêt pour lui de déclarer la redevance ? Et s’il n’y a pas d’intérêt pour le pirate, quel intérêt pour les non-pirates ? Tant qu’à faire une déclaration, je préfèrerais que pour une fois quelqu’un réfléchisse. Par exemple ce qui serait plus intelligent, c’est qu’au lieu de remplir un formulaire à la con pour une redevance conne, il y ait plutôt un formulaire à la con de déclaration SACEM conne. Les pirates honnêtes pourraient alors déclarer leur téléchargement à la SACEM et payer un forfait, comme on autorise à le faire les grandes sociétés. Tant qu’à remplir un formulaire, autant qu’il couvre celui qui s’emmerde à le faire…
- Boycottez rueducommerce.com, ce sont des cons.
L’histoire ne s’arrêtera pas là, bien évidemment. La plupart des gens sont opposés à la redevance pour copie privée, sauf, sur le principe, quelques associations de consommateurs. Et, de plus en plus, les éditeurs y sont hostile. Quelle mouche les pique ? C’est simple. Les associations de consommateurs aimeraient que les consommateurs payent une somme forfaitaire (façon SACEM) afin de ne plus être dans l’illégalité. Récemment, l’idée la plus intelligente que j’aie entendu ces dernières années a été celle de proposer un forfait « téléchargement internet » où le consommateur, en payant cette taxe en même temps que sa connexion internet pourrait alors légalement télécharger ce qu’il veut. Cette idée est bonne à condition, évidemment, que les consommateurs jouent le jeu et que cette taxe ne soit pas obligatoire, ce qui n’est pas le cas de l’actuel redevance. Les associations ne sont pas contre l’idée, elles sont contre le système actuel. Elles veulent un système à la SACEM pour les particuliers.
De l’autre côté, bien entendu, les éditeurs ne veulent même pas entendre parler de cette « licence légale ». L’argument le plus défendable est que ce système ne permet pas de savoir ce que les consommateurs ont téléchargé pour pouvoir faire une répartition correcte de la taxe (il y aurait bien l’idée de faire un soft de scan pour auto-déclarer les morceaux, mais si c’est Sony-BMG qui le fait, je suis contre). Mais surtout, eux, ils veulent un contrôle strict de leurs produits ! Et pour ce faire ils ne jurent que par les système de gestion des droits numériques, les fameux DRM. Ils veulent que des lois soient votées pour interdire le contournement des DRM, pour autoriser leur prise de contrôle sur les produits gérés par DRM (autrement dit le contrôle de votre PC), ils veulent interdire les logiciels de P2P qui n’incluent pas un système de contrôle des fichiers échangés, et ils veulent que cesdits logiciels de P2P leur envoie la liste des fichiers échangés afin d’envoyer des factures à leurs utilisateurs (une sorte de taxe privée). Bien entendu, dans ce cadre, ils feraient une fleur au consommateur en demandant la suppression de la redevance – mais ce n’est même pas sûr, ça rapporte tellement… Bref, ils ne veulent pas que le système SACEM s’applique au particuliers, ils n’ont pas confiance en eux (mon expérience m’a appris qu’ils feraient bien de ne pas avoir confiance dans les entreprises non plus).
Pour l’instant, nous sommes partis sur la voie choisie par les éditeurs de disque, qui font un très intense lobbying auprès des gouvernements nationaux et des instances européennes – ce sont les mêmes qu’on a vu obtenir gain de cause aux USA et ils sont de la même trempe que ceux qui ont exaspéré les députés européens sur le sujet des brevets logiciels. Pour ma part, je suis plutôt pour la première solution car je préfère que ce merdier soit géré par des institutions publiques plutôt que par des sociétés qui ne cherchent qu’à faire du profit. Le Parlement Européen a proposé de faire un système « SACEM » au niveau européen pour essayer de régler le problème, bien entendu les éditeurs ont répondu « c’est trop compliqué » (ah ben zut alors, une multinationale c’est simple alors ?). Il faut dire aussi que je suis de plus en plus pour l’interdiction des DRM vu leur gestion actuelle que je trouve désastreuse et au détriment complet du consommateur.
Et vous ?
Quelque part en prison :
« – Moi j’ai tué neuf personnes dont sept enfants que j’avais violés, et toi ?
– Moi j’ai téléchargé des MP3 sur eMule !
– Oooooooh…. »
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