Denis regarda du côté de l’avenue. La circulation était telle qu’un bouchon énorme s’était constitué comme d’habitude à cette heure-ci de l’après-midi, formant une cacophonie de pots d’échappements et de klaxons au milieu d’un nuage de pollution invisible mais palpable. Les deux roues dévalaient sur les trottoirs, manquant d’écraser les piétons qui eux-mêmes slalomaient entre les voitures, au risque de se faire écraser par le premier bus venu. Rien d’anormal de ce côté-là. Denis se retourna pour vérifier que personne ne le suivait, mais ce n’était pas le cas. Derrière lui, la rue était déserte et sans vie, comme s’il se trouvait sur une frontière invisible entre le monde des vivants et le monde des fonctionnaires. Il fronça les sourcils : ce n’était pas normal… il aurait dû être suivi. Il revérifia l’avenue, mais n’y vit rien qui puisse l’alarmer, si ce n’est l’absence totale de ce qui devait justement l’alarmer. La situation était étrange car il restait cent mètres, et tout se jouait sur cette courte distance. Ils savaient qu’il jouait gros, alors pourquoi donc était-il seul ?
Denis devait prendre une décision. Rester sur place n’était pas bon, et de toute façon ce n’était pas son objectif. Il entra dans l’avenue en rasant les murs, doucement. Il rasa le premier bâtiment, puis le second… et il s’arrêta net.
Le parc. Il avait oublié le parc.
Pourtant, il aurait dû y penser : la symétrie parfaite de l’urbanisme local aurait dû lui rappeler que c’était là que le danger était le plus grand. Il avait lui même appliqué la tactique dite « du parc » tellement de fois que ce chemin n’était quasiment plus utilisé car les chances de réussite étaient minime. Ce n’était pas tant sa faute que celle d’Éric qui avait décider de permuter certains rôles quand on avait appris que Fulbert ne pouvait pas venir, officiellement pour cause de maladie (comme si sa copine était une maladie). Denis, lui, n’avait pas l’habitude d’avoir le drapeau aussi longtemps. De plus il était aujourd’hui en rouge, ce qui était loin d’être la meilleure couleur dans cet environnement quasiment entièrement quoique pas tout-à-fait gris. Sa seule chance, dorénavant, était de courir. Il prit une grande inspiration, empoigna la hampe trois fois plus haute que lui et se mit à courir comme un damné. Alors qu’il déboulait sur une portion du trottoir de plusieurs mètres de large, complètement à découvert, le parc apparut sur sa gauche. Danger mortel ! Denis se mit à sauter plusieurs fois de suite comme un mouton cherchant désespérément une barrière, évita un scooter de justesse, assoma involontairement un piéton avec la hampe et faillit tomber au détour d’un saut dans une bouche d’égoût ouverte. Mais Denis ne vit pas le rayon qui fusa du parc et qui le frappa de plein fouet. Il s’effondra et lâcha la hampe qui se planta dans le sol juste à côté de lui. Du parc, un homme vêtu de bleu sortit en courant et écrasa sans vergogne la dépouille de Denis.
La hampe ainsi que le drapeau bleu qui y était accroché disparurent.
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