Un des grands sujets de conversations avec les japonais que j’ai connu à Paris, c’était la différence entre la langue française et la langue japonaise. Il faut dire que c’était ça ou la météo, et que quand je suis bourré je fais plus la différence. Le problème, dans ce cas, étant qu’il y a autant de points communs entre ces deux langues qu’entre, disons, un fer à repasser et mon colocataire. Donc, forcément, ça fait toujours des conversations interminables au détour desquelles un problème ressurgit régulièrement : les japonais sont, pous la grande majorité, incapable de faire la différence entre le verbe connaître et le verbe savoir. Ils sont aussi pour la plupart incapables d’entendre la différence entre le v et le b, mais c’est une autre histoire (dites à un japonais : « Salut, ça ba ? ». Fou rire assuré. Ne faites ça qu’avec des amis, sinon c’est méchant : ils ne comprennent vraiment pas pourquoi ça nous fait rire et ils sont capables de se venger plus tard).
Donc, quelle est la différence entre connaître et savoir ? La question paraît sotte, et pourtant que nenni (disait le cheval). On dit bien « je connais le chemin, merci pigeon » et « oui oui, je sais ce que c’est ». Mais on dit jamais : »je sais le chemin » ou « oui, oui, je connais ce que c’est ». Enfin si, on le dit quand on est bourré (ce qui n’aidait pas à la recherche de la réponse sur le moment, il est vrai). Plusieurs fois nous avons débattu entre français de la différence fondamentale qu’il y avait entre ces deux verbes. J’ai même cherché sur internet (c’est dire). Tout d’abord nous avons essayé d’établir un parallèle avec le japonais qui lui aussi a deux verbes dans le genre (shiru et wakaru), mais ça ne fonctionnait pas. Puis nous nous séparions toujours en campant sur notre propre position, qui était selon les personnes qu’un des verbes était utilisé dans le cas d’une connaissance et l’autre d’un savoir (ça nous avançait bien), ou que dans un cas c’était une compréhension intrinsèque de la chose qui différenciait l’emploi, ou alors qu’il s’agissait de choses dans un cas et d’évènements dans l’autre (note : un évènement est une chose), ou encore que dans un cas la connaissance était immédiate et pas assimilée, etc. Un autre avis parfois partagé et qu’on n’en avait rien à foutre vu qu’il n’y avait plus de bières dans le frigo et qu’on connaissait que l’arabe était fermé à cette heure-là.
Sur internet, on peut trouver cette explication :
« Tex: C’est très simple, Joe-Bob. On sait des faits mais on connaît des gens et des endroits. Par exemple, je connais Tammy, la France et la Tour Eiffel. / Joe-Bob: Oh, OK, et moi, je sais jouer de la guitare et je sais où se trouve l’université du Texas. »
On trouve aussi (accrochez vous) :
« Parallèle entre savoir une définition et savoir s’en servir contre comprendre ce qu’elle représente, et représentation de l’organisation géographique : savoir ce qu’il y a derrière un mur et pouvoir conceptualiser l’ordonnancement géographique correspondant, « sentir » ce qu’il y a derrière le mur. La première est probablement indispensable à une bonne utilisation de la seconde.
Rapport avec la pensée sans langage : on peut savoir manipuler un outil (ou son expression dans un langage particulier) sans en connaître l’essence.
Inversement : pensée sans langage -> possibilité de comprendre sans savoir (cf. découvertes, recherche : intuitions, conjectures).
Savoir : souvent langage (même chose que savoir [énoncer la liste de] ce qu’il y a derrière un mur) / comprendre : concept. »
Vous remarquerez que cette explication dit une chose et son contraire (c’est de la philo). Pour finir, mon cher ami F, dit « D », professeur de français de son état, n’avait pas non plus de réponse toute faite.
Bref, on se prenait bien la tête jusqu’au moment où, dans le métro, à moitié endormi (comme d’hab), j’ai eu un flash : oui, c’était ça la solution, c’était irréfutable, j’étais le meilleur ouais top cool mortel. Je l’ai partagée, et depuis l’humanité francophone est sauvée d’un péril encore plus grave que Céline Dion. Voici la réponse (roulements de tambours) :
CONNAÎTRE est toujours suivi d’un groupe nominal
SAVOIR est toujours suivi d’un groupe verbal
Exemples :
Connaître les horaires de l’arabe du coin / connaître l’ami du voisin de la chienne / connaître douze façon de tuer un homme
Savoir à quelle heure il ferme / savoir où habite la chienne / savoir comment tuer son mari
Plus subtil : « Connaître la différence » et « Savoir [quelle est] la différence ».
Le reste n’est que fautes d’usage et abus de languages. Ou alors, si les deux sont possibles, on s’en tape vu que du coup la règle n’induit pas de faute. Si si. Enfin bon, j’en suis pas sûr non plus, mais on n’a pas encore trouvé de contre-exemple. Alors maintenant question : pourquoi n’enseigne-t-on pas ça à nos chers japonais franconisants ? Et bien j’en sais rien, mais a priori cela viendrait du fait que les profs préfèrent enseigner des tips à la Joe-Bob plutôt que de donner une règle qui paraîtrait encore plus floue (un japonais n’est peut-être pas fort pour distinguer un groupe verbal d’un groupe nominal, déjà que pour les français…). Malheureusement ça ne marche pas vraiment, où alors pas avec tout le monde. Un peu comme mes 8 profs d’anglais qui ont essayé de m’inculquer la différence entre preterit et present perfect au niveau sens grammatical sans succès, jusqu’au jour où ma dernière prof (the « last chance ») nous a fait lire un texte d’un type devenu fou par la perte de sa femme et qui utilisait les mauvais temps. D’où la conclusion : du feeling dépend l’usage et fuck off la grammaire.
Sur internet, en cherchant un peu mieux (=cliquer sur un bouton supplémentaire dans Google), on trouve deux autres contributions sur Usenet qui relèvent qu’un gosse français arrive à faire la différence depuis son plus jeune âge sans forcément savoir ce que sont un groupe verbal et un groupe nominal. Mais étant donné que ces deux structures n’expriment pas les mêmes choses, je pense qu’il s’agit d’un faux débat (l’enfant ferait alors la différence entre les deux verbes par ce qu’il veut exprimer à leur suite).
Alors, fondamentalement, n’y aurait-il aucune différence entre connaître et savoir ?
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