Aujourd’hui je suis très, très, très énervé par des gens chez qui je vais finir par téléphoner pour leur apprendre le fond de ma pensée. Samedi dernier, j’ai acheté l’édition « Prestige » du Voyage de Chihiro (ou de Le Voyage de Chihiro, ça dépend où vous préférez les italiques). J’avais boycotté les sorties « classiques » des films de Miyazaki depuis que j’avais acheté la version « Collector » de Princesse Mononoke qui était absolument inregardable en VOST car les sous-titres français étaient une traduction du doublage anglais. Résultat : les sous-titres n’avaient absolument rien à voir avec la VO, il y a même des moments où des sous-titres apparaissaient alors que personne ne parlait, ou vice-versa. Je précise qu’à l’époque AUCUN magazine n’a relevé ce problème, les seules remarques étant du genre « les sous-titres sont un peu désynchronisés ». Notez que Pathé avait fait exactement la même chose avec Patlabor 2 (superbe film), ce qui rendait incompréhensible des passages entiers du film lorsqu’on le regardait en VOST.
Bref, à cause de ça et aussi parce que la plupart des DVD de séries ou d’anime sont de bêtes transcodages de versions US ou japonaises (et souvent des transcodages moisis), j’avais décidé de boycotter complètement les DVD Zone 2 (Europe) et de ne me fournir qu’au Canada (Zone 1) ou certes il n’y a pas toujours de VF mais au moins, je ne suis jamais déçu par ce que j’achète.
Et puis Samedi dernier, paf, folie. Je vois le DVD « Prestige » de Chihiro, et je savais qu’il n’y avait pas de problème de sous-titre ni d’image puisque j’avais offert la version « Collector » à ma mère. Donc, je l’achète, puisque ça tombe bien, c’était l’édition que j’attendais.
Erreur. Je le regrette. Je le regrette BEAUCOUP.
Pour comprendre le problème qu’il y a sur ce DVD, il faut que je vous explique un petit soucis qui existe en vidéo. Ça ne sera pas compliqué, rassurez-vous. Lorsque vous regardez votre télévision, l’image que vous voyez n’est pas complète. Votre téléviseur est (pour la plupart des gens), un tube cathodique enfermé dans un boitier plastique qui est censé le protéger. Si vous n’avez jamais démonté une télé, un tube cathodique ressemble à ça. Pour qu’il soit bien protégé, la carcasse du téléviseur recouvre le tube sur ses bords. Or, l’image vidéo est projetée sur l’ensemble de la surface photosensible du tube : l’image disparaît donc sous le plastique du téléviseur au bord de l’image. Cette zone invisible s’appelle l’overscan. Il est normalement impossible de voir cette partie de l’image à moins de démonter la télé ; sur certains moniteurs professionnels, on peut activer une fonction appelée underscan qui réduit la taille du balayage de l’écran à des fins de vérification, mais cette fonction n’existe pas dans les téléviseurs destinés au grand public. Il y a aussi le cas des murs d’images constitués de plusieurs tubes empilés, et dans ce cas on voit effectivement toute l’image.
Bien sûr, l’overscan pose un certain nombre de problèmes. Lorsque vous filmez une scène avec une caméra par exemple, ce qui est tout au bord de l’image n’apparaîtra pas sur votre télé. Lorsque, dans une émission de télé, on doit écrire un titre à l’écran comme « Monsieur Chirac, Président de la République », on doit s’assurer qu’il n’est pas trop au bord sinon il disparaît dans le bord plastique de la télévision des téléspectateurs.
Vous allez me dire que c’est con, qu’il faudrait le supprimer. Et bien oui mais non. Supprimer l’overscan, cela signifierait qu’on se retrouve dans le même cas qu’un moniteur de PC (à tube cathodique) : il n’y a pas d’overscan, mais il faut bien régler le moniteur pour que l’image colle bien au bord sans dépasser, et il y a une bonne dizaine de réglages. Monsieur-Tout-Le-Monde n’aime pas les réglages, il aime bien sortir sa télé toute neuve du carton et regarder la télé tout de suite sans avoir à régler la taille horizontale, verticale, le centrage, le trapèze, le coussin, etc.
Donc se qui se passe, c’est qu’en vidéo il y a trois zones de l’image qui doivent être prises en compte que j’ai indiqué sur l’image ci-dessous.
Ce qui est en rouge, c’est le fameux overscan : l’image qui est là, on est quasiment sûr qu’on ne la verra jamais sur une télé cathodique. La zone qui est entre le jaune et le rouge, c’est celle ou on est pas très sûr : en usine, le plastique de la télé n’est jamais fixé au même endroit sur le tube selon les modèles de téléviseur et peut parfois être un peu décalé, sans compter que parfois les télés sont quand même très mal réglées (par exemple sur celle de mon coloc l’image est décalée d’un bon centimètre sur la gauche). Donc on peut y mettre des choses qui bougent (un bout d’acteur, etc) mais jamais des informations importantes comme des phrases ou des mots qui pourraient être coupés. Cette zone s’appelle la « safe action area ». Et puis la zone la plus importante, celle du centre, s’appelle la « safe title area » puisqu’on peut y mettre ce qu’on veut, y compris des titres (mots).
Vous remarquerez que je ne parle ici que de téléviseurs basés sur des tubes cathodiques, qu’ils soient 4/3 ou 16/9ème. Lorsque vous regardez un film ou une émission de télé sur un autre type d’écran, vous voyez TOUTE l’image. C’est le cas sur les téléviseurs LCD ou plasma, sur un PC ou un Mac (en fenêtre ou en plein écran), ou sur un vidéo-projecteur. Donc la méthode pour créer un programme vidéo est le suivant : il faut que l’image prenne tout l’espace disponible, en sachant que sur un écran cathodique il y a des bouts qui sautent. Dans le cinéma c’est une règle avec laquelle les réalisateurs ont appris à fonctionner : sur les caméras qu’ils utilisent il y a des marqueurs qui indiquent la zone qui n’apparaîtra pas sur une télé mais avec laquelle il faut composer le cadre… puisque dans une salle de cinéma, on voit évidement TOUTE l’image. Que des bouts d’image sautent n’est pas très grave puisque le réalisateur, à la base, n’y met rien d’important. De toute façon, en 16/9ème, les bords de l’image sont plus là pour faire plaisir au cerveau qu’autre chose (la vision humaine est en largeur mais l’attention se porte uniquement sur le centre).
Donc, lorsqu’un film est passé en DVD, l’image du film prend TOUTE la largeur de l’image vidéo. Voyez par exemple ces captures d’écran de L’Effet Papillon, de Contact, Metropolis, Memories ou de Babylon 5. La manipulation est grandement simplifié de nos jours puisque les films sont quasiment tous montés en haute définition numérique. Pour les films plus anciens ou si un master numérique n’existe pas, il faut digitaliser la pellicule sur un support vidéo (opération appelée télécinéma) et parfois des défauts apparaissent sur les bords de l’image, ou alors l’image du film n’est soit pas exactement bien cadrée avec l’image vidéo ou pas tout à fait au bon rapport largeur/hauteur. C’est le cas par exemple pour Aladdin ou Princesse Mononoke.
Bon alors, et mon DVD ?
Et bien figurez-vous que chez Buena Vista, il y a une personne, certainement bien mieux payée que vous, qui a trouvé inadmissible que les gens ne puissent pas voir TOUTE l’image sur leur téléviseur. Il fallait absolument trouver un moyen de rendre visible TOUTE l’image du film pour que tout le monde en profite bien. Cette personne, je la hais au plus profond de moi.
Bien sûr, la seule et unique manière de faire que toute l’image du film apparaissent dans son intégralité sur un écran cathodique, et bien c’est de la réduire. De la réduire un peu. Un peu beaucoup. En fait, précisément de 8%. Vous allez me dire que c’est pas beaucoup. Vous aimeriez que votre salaire soit réduit de 8%, vous ? Ah voilà, on est d’accord. 8%, c’est presque 1/10ème de la taille de l’image. Et encore, ça c’est pour la résolution : en surface d’image, on perd près de 20% ! Voilà une image extraite de ce DVD. Comme vous pouvez le voir, il y a un ma-gni-fi-que gros cadre noir autour puisque l’image a été réduite pour pouvoir entièrement entrer dans la safe action area. Et si jamais vous regardez ce DVD sur un vidéo projecteur, sur un PC ou sur Mac avec votre dernier Cinema Display 20″ à 900€, vous avez droit à ce magnifique cadre de MERDE. Et là encore, j’entends une petite voix au fond qui dit « j’en ai rien à foutre, je suis pauvre et j’ai une télé normale ». Et bien connasse de petite voix, laisse-moi te dire que sur ta télé normale tu perds aussi 20% de surface d’image puisque l’image est réduite en hauteur. Alors que l’image aurait dû faire 432 pixels de hauteur, ce qui n’est déjà pas grand chose, grâce à ce coup de génie elle fait 384 pixels. Petite voix du fond, si en plus tu es pauvre et que tu as une petite télé, tu auras une image encore plus petite avec des barres cinémascope encore plus grosses. En 4/3, regarde la différence entre CE QUE ÇA DEVRAIT ÊTRE (gauche) et L’IMAGE DE L’EDITION PRESTIGE (droite) :
Génial, non ? Le pire, c’est que non seulement ce petit magouillage n’est pas indiqué sur la jaquette, mais en plus ce qui est indiqué est vrai : « Format 1.85 » (c’est vrai) et « Convient à tous les formats d’écrans TV » (c’est vrai aussi). Par contre, le DVD est labellisé THX, comme quoi le THX ne sert définitivement à rien… d’ailleurs ces boulets se sont trompés car le logo apparaît deux fois au début du film. J’imagine aussi que lorsque les gens commenceront réellement à acheter des téléviseurs LCD (qui sont pour l’instant de sombres merdes super chères), tout le monde découvrira le pot-aux-roses..
Voilà, je suis donc dégoûté d’avoir payé 35€ pour cette édition minable. Oui, il y a plein de bonus, mais qu’est-ce que j’en ai a foutre vu que ça me dégoûte de regarder le film ? Ce qui est sûr, c’est que je vais devoir me casser le cul à revendre ce machin pour me racheter la version « normale » en espérant qu’elle soit réellement « normale ». Pas comme la version « Prestige », qui est surtout prestigieusement à jeter.
Note : la difference de taille entre les capture d’écrans est dûe à la différence de taille entre les images 16/9 NTSC (853×480) et les images 16/9 PAL (1024×576). Les images source sont en 16/9 anamorphosé sur tous les DVD cités.
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